Mais comment le design thinking est-il né?

Mais comment le design thinking est-il né?

Gaëtan Namouric
C'est à IDEO que nous devons la popularisation du design thinking — aussi appelé la pensée design. Alors que cette approche semble être née dans les années 90, portée par un Tim Brown évangélisateur, elle est l'aboutissement d'un demi-siècle de réflexions et de recherches — et l'addition des travaux de nombreux sociologues, architectes et chercheurs. Voici cette histoire.
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Gaëtan Namouric + MidJourney (V5)

Le design thinking est une méthode centrée sur l'utilisateur et itérative pour résoudre des problèmes en cinq étapes : empathie, définition, idéation, prototypage et déploiement. Flexible et adaptable, cette approche convient à diverses industries, divers problèmes, plusieurs méthodes et tailles d'équipes. Il a inspiré de nombreuses organisations pour l'invention de nouveaux produits et services, mais aussi de processus, de méthodes ou d'approches. C'est d'ailleurs l'inspiration principale de Perrier Jablonski quand vient le temps de mener une réflexion stratégique. Nous avons abordé les mécanismes dans l'article suivant, et c'est sur son berceau que nous allons nous pencher aujourd'hui.

Non, le design thinking n'est pas né subitement dans l'esprit allumé de Tim Brown, mais c'est à sa firme IDEO, née en 1990, que nous devons sa mise en marché flamboyante. Le design thinking a de nombreux parents. Comprendre la contribution de chacun, c'est mieux comprendre la richesse et la profondeur de la méthodologie elle-même. C'est parti pour un petit voyage dans le temps...

1956, les grands esprits se rencontrent

John E. Arnold (1913-1963) est professeur de génie mécanique et professeur d'administration des affaires à Stanford. Alors qu'il étudie la psychologie de la pensée créative et de l'imagination, il fait changer le sens du mot design — en le faisant passer de la forme à la fonction. Dans un même élan, il pose les bases de l'innovation telle qu’on la connaît aujourd’hui. En 1956, il crée des camps d’été pour enseigner la créativité aux ingénieurs. Ces séminaires ont eu une influence indiscutable sur le monde des idées, de l’innovation et des affaires. C’est là que se croisent Abraham Maslow, Richard Buckminster Fuller (grand influenceur de la Silicon Valley) ou encore Alex Faickney Osborn (inventeur du brainstorming).

John E. Arnold et les principes du "Creative Engineering" : Question, Observe, Associate, Predict

1965, une approche systématique et scientifique

Bruce Archer (1922-2005) est ingénieur mécanique et professeur en design au Royal College of Art, à Londres. C'est à lui que l'on doit l'enseignement du design à l'université. Dans les années 60, il publie coup sur coup deux ouvrages qui vont révolutionner le design industriel. D’abord Systematic Method for Designers — dans lequel Archer défend l’idée d’une approche systématique et plutôt scientifique du design; ensuite The Structure of the Design Process. Il prépare les bases du design thinking en mettant en valeur une approche basée sur une méthode systématique, réfutant l’idée d’un processus basé sur l’intuition et la seule créativité des concepteurs.

1969, le processus de conception décodé

L’économiste et psychologue Herbert Simon (1916-2001) est considéré comme le père spirituel du design thinking dans sa forme actuelle. Il publie The Sciences of the Artificial dans lequel il explore les processus de conception et de prise de décision, et certains concepts d'intelligence artificielle. Le design y est décrit comme un mode de pensée. Ainsi, le design — passé de la forme à la fonction, sous l'influence de John E. Arnold —, devient un processus. Il développe aussi l’idée du « satisficing », décrivant les limites de la rationalité. Il reçoit le prix Turing en 1975 et le prix Nobel en 1978 pour ses travaux.

1981, l'expérience utilisateur et l'interface

Le designer industriel Bill Moggridge (1943-2012) conçoit le premier ordinateur portable, le GRiD Compass. Spécialisé dans le design d’interaction, il concentre ses recherches sur les interfaces et les expériences-utilisateur. Cette idée de l'usager "au centre" est fondamentale en design thinking. L'observation fine des comportements des usagers est un pilier de la méthode. L'influence des travaux de Moggridge est certaine, puisqu'il co-fondera plus tard IDEO.

L’astronaute John Creighton, à bord de la navette Discovery, équipé du premier GRiD Compass (NASA, 1985)

1986, naissance du "design centré sur l’utilisateur"

Donald Norman (1935-) est psychologue, professeur émérite en sciences cognitives à l'Université de Californie à San Diego. C'est le premier à utiliser le terme user-centered design, lui-même au centre de la pratique du design thinking.

1987, baptême du design thinking

Peter Rowe (né en 1945) est architecte, urbaniste et chercheur. Il est le premier à utiliser le terme design thinking, dans un ouvrage intitulé... Design Thinking. Il y décrit les méthodes utilisées par les architectes et urbanistes pour concrétiser leurs idées dans la création de bâtiments et d'espaces publics. Le design thinking voit donc officiellement le jour au M.I.T., qui l'enseigne encore aujourd'hui.

1990, la naissance d'IDEO

IDEO naît de la fusion de quatre entreprises : David Kelley Design, Moggridge Associates, ID Two (également dirigée par Moffridge) et Matrix Product Design (fondée par Mike Nuttal). David Kelley popularise le design thinking et devient un grand promoteur d’une approche structurée de résolution de problèmes.

IDEO aujourd'hui : Tim Brown et Sandy Speicher (co-présidents) avec David Kelley (fondateur)

2000s, l'évangélisation de masse

Tim Brown — alors unique PDG d’IDEO — écrit un article intitulé Design Thinking dans Harvard Business Review, puis il publie un livre en 2009, « Change by Design », où il fait œuvre d’évangélisation pour la méthode. C'est le début de l'aventure médiatique du design thinking.

2004, l'atterrissage à Stanford

Depuis, l'Université de Stanford s’est emparée du sujet en proposant une école spécialisée dans le design thinking — et avec la complicité d’IDEO. Ainsi, la d.school (de son vrai nom Hasso Plattner Institute of Design) propose des programmes pédagogiques tant sur son campus qu’en ligne, avec une approche très californienne de la discipline. De son côté, le M.I.T. enseigne la méthode de manière beaucoup plus académique — et avouons-le, un peu austère... (mais c'est aussi ma préférée, hors de tout doute!)

La d.school — quand IDEO s'installe à Stanford. © d.school

Aujourd'hui

Le parcours du design thinking est en perpétuelle évolution et la ligne d'arrivée n'est pas prête d'être tracée. Si IDEO, le M.I.T. et la d.school de Standford sont les gardiens du temple, la discipline va devoir évoluer encore. Les impacts environnementaux et sociétaux — timidement évoqués dans les cours de design thinking — vont devoir se développer. Les répercutions des nouveaux outils de connaissance et de création — ChatGPT, MidJourney, Stable Diffusion, etc. — vont devoir être prises en compte. Et cette liste va s'allonger d'année en année, d'évolution en révolution.

Et voilà. Il est intéressant de noter le parcours qui a été nécessaire au design thinking pour se rendre jusqu'à nous. D'abord, le mélange de plusieurs disciplines dans les années 50, qui a donné naissance à de nouvelles réflexions, telle que l'étude de la psychologie créative ou la mécanisation de la pensée. Bref, on voulait comprendre comment notre cerveau fonctionnait, et on cherchait des explications logiques, qui dépasseraient le mystique élan créatif. Enfin l'usager au centre et l'observation de ses interactions seront les dernières pierres angulaires de la méthodologie telle qu'on la connait aujourd'hui. Dernière? Hum... pas vraiment. Il a fallu le génie marketing de David Kelley et Tim Brown pour populariser et évangéliser les organisations du monde entier, et les inviter à "penser design".

Ce qu'il faut retenir

Le design thinking n’est pas le produit d’un éclair de génie dans l’esprit d’une seule personne, mais dans l’enchevêtrement des recherches de grands esprits du XXe siècle. Ils se sont penchés à la fois sur la psychologie humaine et sur la sociologie, mais aussi sur les mécanismes et les processus qui mènent à la conception d’un produit innovant. IDEO est à la fois l’aboutissement et un concentré de cette histoire.

Gaëtan est le fondateur de Perrier Jablonski. Créatif, codeur et stratège, il est aussi enseignant à HEC (marque-média), à l'École des Dirigeants de HEC et à l'École des Dirigeants de Premières Nations (pitch, argumentation). Certifié par le MIT en Design Thinking et en intelligence artificielle, il étudie l'histoire des sciences, la philosophie, la rhétorique et les processus créatifs. Il est l’auteur d'un livre et d’une centaine d’articles sur tous ces sujets.
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Bibliographie et références de l'article
  • H. A. Simon. The science of the artificial. MIT Press, 1969
  • B. Archer. « Design as a discipline ». Design studies, 1979, n° 1, p. 17-20
  • P. G. Rowe. Design Thinking. MIT Press, 1987
  • T. Brown. Change by Design. How design thinking transforms organizations and inspires innovation. Harper Business, 2009

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