Expérience client, quand trop de choix tue le choix.

Expérience client, quand trop de choix tue le choix.

Gaëtan Namouric
Et si offrir beaucoup de choix était une erreur? Et si l'abondance nous dirigeait tout droit vers une déception assurée? Si plus de choix c’est plus de liberté, c’est aussi plus de chances de se tromper. Pour se réconforter, allons boire quelque chose chez Starbucks... Prêt? Hum... pas sûrs que vous soyez prêt.
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Photo Starbucks, illustration Perrier Jablonski

Le cas Starbucks

La stupeur commence dès que vous passez la porte. Cafés, thés, boissons chaudes ou froides... D'après nos comptes, il existe 160 boissons dans la célèbre chaîne. Mais que choisir?! Arrêtons-nous sur un chocolat chaud. Un? Pas si vite!

Les options disponibles sont si nombreuses que nous avons dû abandonner notre calculatrice et demander à la brillante Nadia Lafrenière de faire le calcul à notre place. Nadia a obtenu un Ph. D. en mathématiques combinatoires à l'Université de Québec à Montréal et elle est aujourd'hui post-doctorante et professeure à l'Université de Dartmouth aux États-Unis. Nadia est aussi une grande vulgarisatrice scientifique et a été chroniqueuse pour l'émission scientifique L'oeuf ou la poule. Pour être sûrs de ne rien oublier, nous avons demandé à Nadia d'aller sur le site internet de Starbucks et de commander un bon chocolat chaud. C'est parti!

Vous allez devoir prendre plusieurs décisions. Chocolat à la menthe poivrée ou pas? Chocolat blanc ou pas? Quelle taille (5 au choix)?  Une saveur en sirop (13 au choix) ou pas? Ou plutôt une saveur en sauce — un sirop plus épais (5 au choix) ou pas? Quelle garniture (7 choix, 4 quantités par choix)? Quel coulis (2 choix, 5 quantités pour chacun)? De la cannelle avec ça (4 quantités)?  De la crème fouettée (4 quantités)? Du lait, ou un substitut? Si oui, à quelle température (11 types de lait, 3 températures chacun)? Une décoration sur le dessus (3 options)? Sucre ou édulcorant (8 options, 2 quantités)? Pour finir, un peu de mousse de lait (4 options seulement pour les chocolats chauds à la menthe poivrée)?

Notre docteure en mathématiques a consciencieusement comptabilisé les possibilités, en s'assurant des options disponibles pour tel ou tel types de chocolat chaud. Voilà le résultat final :

Chocolat chaud sans menthe poivrée : 2 × 5 × 213 × 28 × 47 × 52 × 4 × 4 × 11 × 3 × 3 ×25 = 435 406 604 599 296 000 possibilités

Chocolat chaud avec menthe poivrée (même calcul, mais 4 options de mousse de lait) donc 4 × 435 406 604 599 296 000 = 1 741 626 418 397 184 000 possibilités.

Quand on additionne les deux, on obtient 2 177 033 022 996 480 000 possibilités.

Oui, vous avez bien lu. On parle ici de 2 milliards de milliards de possibilités. Pour UN SEUL chocolat chaud.

Mais... pourquoi tant de choix?

Les sociétés occidentales ont établi la liberté comme vertu cardinale. Pour les marques, cette liberté se traduit par le choix. Beaucoup de choix. Un maximum de choix. Une palette de choix si large qu’elle finit par faire angoisser le consommateur. Après le fameux FOMO — Fear Of Missing Out, on observe désormais ce que nous avons baptisé le FOOO — Fear Of Overwhelming Options (les chercheurs parlent de Choice Overload Bias ou d'overchoice)... Et c’est au professeur de psychologie Barry Schwartz que nous devons les explications de ce paradoxe.

L’expérience de Schwartz

Nous sommes en 2004, dans une épicerie. Le chercheur Barry Schwartz a disposé des pots de confiture sur une table. Six sortes au choix. Durant une journée, on observe le comportement des consommateurs. Verdict… 40% des clients s'arrêtent et examinent les pots de confiture. 30% de ceux-ci achètent un pot. Un résultat de 12% de conversion, donc. Le lendemain, Schwartz dispose 24 sortes de confiture... Quatre fois plus de choix! Surprise, 60% des gens s'arrêtent devant l'étal (50% de plus que la veille), mais on découvre alors que seulement 3% de ceux-là sont passés à la caisse avec un pot. C'est dix fois moins de ventes que la veille! Mais que s’est-il passé? Le chercheur détaille les raisons de ces observations contre-intuitives. Et il en existe plusieurs.

Expérience de Schwartz. Illustration Perrier Jablonski.

La paralysie — un effort de trop

L’humain est un animal paresseux. Devant un choix à faire, il est devant un effort à faire. Pire encore, cet effort peut devenir inconfortable ou difficile. Bref, l’adepte du moindre effort que nous sommes va inévitablement tenter de différer — voire éviter — d’avoir à faire un choix. Bon. Admettons qu’on y arrive… que se passe-t-il alors?

L’insatisfaction — maudit conditionnel passé

L’humain est un animal doué d’imagination. Une fois le choix final effectué, un doute persiste. Ce doute est stimulé par notre capacité à imaginer que les options B, C, D ou E auraient pu être de meilleures décisions — même si l'option A est objectivement la meilleure. Imaginer les opportunités manquées est plus fort que nous. Mécaniquement, cette imagination vient altérer la satisfaction réelle… Et alors que l’animal repu que nous sommes devrait se réjouir, la fête est gâchée par un « et si ».

Le coût d’opportunité — la machine à regret

L'humain est une machine à calculer et le coût d'opportunité est un concept connu en économie : pour faire un choix éclairé, on mesure les avantages à renoncer aux autres options. Les économistes l’appellent également le coût de renoncement. C’est notre capacité à comparer rationnellement des options. Qu’allez-vous rater? Quelle herbe aurait pu être plus verte encore? Plus il y a d’options et plus ce « coût » augmente... et plus les regrets grandissent.

Plus de choix = plus de curiosité, mais moins de passage à l'acte.

L’attente de perfection — l’effet « Ouin »

L'humain reste un doux rêveur. Et avec toujours plus de choix dans tous les domaines de notre vie, il s’installe inexorablement en nous un fantasme : « cette fois-ci, je vais être comblé »… mais comme nous l’avons vu plus haut, cette attente est vaine. Pourquoi? Parce que nos attentes sont devenues intenables et malheureusement, il est devenu impossible que nous soyons agréablement surpris. Au mieux, une marque peut à peine « faire le boulot » de combler nos attentes. L'effet Wow! cède à l'effet ouin...

Le coupable idéal — ça ne va pas vous plaire

L'humain est son propre ennemi. Dans le bon vieux temps (à l’époque où l’on ne décidait de rien, donc), il y avait toujours un coupable. C'était pratique pour se plaindre. Le vendeur, la boutique, la marque, le beau-frère qui nous a conseillés, le gouvernement, le curé, le Bon Dieu… Aujourd’hui, quand on a le choix entre 72 modèles de téléphones, 2 millards de milliards de possibilités pour 1 chocolat chaud, des douzaines de saveurs de confiture à notre disposition… on n’a plus d’excuses. Si on se trompe, il ne reste qu'une seule personne à blâmer : soi-même.

Ça va mal aller

Et c’est ainsi que va le monde expliqué par Pr. Schwartz : il va mal. Un cercle vicieux s’installe dans tout : nous avons besoin de liberté, donc de choix. Et ce choix génère un regret immédiat, avant et après notre décision. Les autres options offraient tellement de possibilités abandonnées. Le choix n'est plus une naissance, mais une série de deuils. Et les attentes héritées de toutes nos précédentes expériences sont tellement prégnantes que la déception est assurée, avec un seul coupable possible : vous-même.

On est passés de l'effet Wow! à l'effet Ouin...
Gaëtan Namouric

Des pistes de solution — quand-même!

Chez Perrier Jablonski, nous avons eu la chance de travailler sur plusieurs mandats où l'abondance devenait un problème. Cela nous permet de vous proposer plusieurs pistes de solutions:

  • Si la variété est un critère important pour le consommateur (ex. peinture d'intérieur), n'hésitez pas à montrer toute votre palette au début du processus d'achat. Mais rapidement, vous devez aider le consommateur à choisir, grâce à des repères : le coup de coeur du gérant, la sélection automne/hiver, les couleurs tendance cette année, les choix de Marilou, etc.
  • Guidez le consommateur, choisissez pour lui, rassurez-le.
  • Ne mettez pas le client dans une situation de stupeur. Montrez quelques options "pré-faites", puis laissez-le personnaliser sa commande s’il le souhaite.
  • La peur de se tromper est limitée pour un produit quotidien. Le risque est en effet moins élevé pour un café que pour un téléphone à plus de 2000$. Le choix est donc une opportunité de découvrir autre chose chaque matin. Jouez sur cette opportunité de faire revenir le client, mais choisissez à sa place.

Ce qu'il faut retenir

Il n’est pas contestable que nous vivons plus libres aujourd’hui qu’auparavant dans les pays occidentaux. Pour les marques, cette liberté se traduit par toujours plus de choix. Or pour le consommateur, cette profusion d'options devient parfois un fardeau : paralysie, frustration, insatisfaction et culpabilité. La solution : le guider avec des choix-repères établis et rassurants, l'inviter à découvrir d'autres options à considérer à l'avenir (jamais sans lui avoir confirmé que son choix actuel est le meilleur)... mais surtout... ne jamais mettre les gens dans une situation de stupeur avec une abondance de choix plus paralysante que motivante.

Gaëtan est le fondateur de Perrier Jablonski. Créatif, codeur et stratège, il est aussi enseignant à HEC (marque-média), à l'École des Dirigeants de HEC et à l'École des Dirigeants de Premières Nations (pitch, argumentation). Certifié par le MIT en Design Thinking et en intelligence artificielle, il étudie l'histoire des sciences, la philosophie, la rhétorique et les processus créatifs. Il est l’auteur d'un livre et d’une centaine d’articles sur tous ces sujets.
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Bibliographie et références de l'article

→ TED : The paradox of Choice

→ New York Times : Too Many Choices: A Problem That Can Paralyze

→ HBR :  More Isn’t Always Better

2007 : 3 choix possibles
l’iPhone. 1 modèle, 1 couleur, 3 capacités

2023 : 72 choix possibles
iPhone 14 Pro : 2 tailles, 4 couleurs, 4 capacités = 32
iPhone 14 : 2 tailles, 5 couleurs, 4 capacités = 40

Détail des options pour les chocolats chauds: 
• À la menthe poivrée ou pas : 2 options
• Chocolat chaud blanc ou pas : 2 options
• Taille (5) : Enfant, Piccolo, Mezzo, Grande, Venti
• Garnitures (47 = 16 384) : 7 différentes, pour chacune, on doit décider pas du tout, un peu, moyen ou beaucoup. Quatre choix à faire pour chacune des sept garnitures, donc 47 options.
• Coulis (52 = 25) : 2 choix à faire (caramel ou moka), 5 options pour chacun (pas du tout, un peu, moyen, beaucoup ou substitut). En tout, 5×5=25 options.
• Cannelle (4) : pas du tout, un peu, moyen ou beaucoup. 4 options.
• Crème fouettée (4) : pas du tout, un peu, moyen ou beaucoup. 4 options.
• Lait (3 x 11 = 33) : Onze options pour le type de lait (crème, lait, boisson de coco, sans lactose, etc.), et trois pour la température (tiède, chaud, très chaud). Ces choix sont indépendants, donc 3 × 11 = 33 options.
• Ajouts de décorations (3) : Rien, décoration moka, décoration caramel
• Édulcorant (28 = 256) : 8 options, pour chacune, on décide si on en veut ou pas (en théorie, on peut aussi déterminer le nombre de doses de chacun). On a deux options pour chaque édulcorant, et on répète le choix 8 fois. C’est donc 28 = 256 options en tout.    
• Sirops (213 = 8 192) : 13 options, pour chacune, on décide si on en veut ou pas (en théorie, on peut aussi déterminer le nombre de doses de chacun). Donc, deux choix pour chacune des treize options, soit
213 = 8 192 options en tout.
• Sauces (25 = 32) : 5 options, pour chacune, on décide si on en veut ou pas (en théorie, on peut aussi déterminer le nombre de doses de chacun). Donc, deux choix pour chacune des cinq options, soit 25 = 32 options en tout.
• Mousse de lait, seulement pour les chocolats chauds à la menthe poivrée (4) : pas du tout, un peu, moyen, beaucoup.

→ Configurateur Starbucks

☝️ Les visuels, vidéos, citations ou extraits inclus dans cet article sont utilisés à des fins éducatives selon l'article 107 du Copyright Act de 1976 sur le Fair-Use.

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