Une première version
Nous sommes en 1943. Abraham Maslow (1908-1970) oriente ses recherches vers la psychologie dans le monde des affaires et de la gestion. Il publie alors un article retentissant sur la hiérarchie des motivations — qui deviendra la pyramide de Maslow. Pour l'avoir lu dans le détail, il s'agit d'abord d'un article prudent, où l'auteur s'adresse souvent au lecteur de manière conditionnelle, et où il émet toutes sortes de réserves quant au manque de données concrètes pour aboutir à des conclusions finales. Il assume aussi le côté inachevé de sa théorie, qui mérite d’être approfondie — ce qu’il fera lui-même jusqu’à la fin de sa vie. Dès les années quarante, Maslow va suivre deux chemins. D'abord, il va s'intéresser à l'application pratique de sa théorie dans le milieu du travail. Ensuite, il va tenter de mieux comprendre les mécanismes qui animent celles et ceux qui ont atteint leur plein potentiel.
Un succès (trop) rapide.
La hiérarchie des motivations de Maslow connait un succès fulgurant, et elle est alors reproduite dans une vingtaine d'ouvrages de psychologie. C'est un consultant qui va lui donner la forme d'une pyramide, dans les années 60. Dans l'excitation générale, on va omettre deux étages que Maslow lui-même avait eu du mal à catégoriser. Trop tard. C'est la version simplifiée de la théorie qui marquera nos esprits à jamais... jusqu'à aujourd'hui.
Besoin ou motivation?
Quand un être humain se retrouve dans un besoin vital — manger ou boire —, il n'a pas d'autre attente, pas d'autre rêve. Il ne peut pas penser à l'estime de soi ou rêver d'être la meilleure version de lui-même : le besoin dominant est manger et boire. Quand ce besoin est assouvi, il peut passer à la quête suivante : celle de la sécurité — un environnement stable, prévisible, etc. Il ne rêve toujours pas d'estime. L'urgence, c'est la sécurité. Et il en va de même pour chaque étage. Quand un humain se retrouve dans une certaine catégorie de besoins, rien d'autre ne compte pour lui. Le besoin suivant est inimaginable, celui d'avant est déjà oublié. Mais l'humain en milieu de travail ne fonctionne pas uniquement en termes de besoin. Il se cherche perpétuellement... des motivations.
Une fois le besoin assouvi, une personne est alors motivée à atteindre la prochaine catégorie de besoin. Une fois atteint, ce but disparait et l'on cherche notre prochain palier de motivation. Et ainsi de suite. Comme le concluait Maslow, L'Homme est un animal désirant.
Pyramide ou pas?
Premièrement, il n'est pas ridicule d'avoir représenté cette hiérarchie sous forme de pyramide. Elle peut être considérée comme une hiérarchie biologique : nous partageons certains besoins avec certaines espèces. Tous les animaux de la Création ont besoin de manger, d'éliminer et de se reproduire. Certains animaux seulement ont un besoin d'appartenance — en vivant en meute par exemple. Très peu ont les mêmes besoins d'estime que les grands singes (nous inclus). Cette pyramide représente alors fidèlement ces besoins qui font de l'humain un être vivant de plus en plus unique, au fur et à mesure des étages.
Deuxièmement, il convient de noter que si tous les humains ont les mêmes besoins physiologiques, d'estime ou d'accomplissement de soi, ce n'est pas partagé équitablement entre tous. Certains n'auront pas la chance de se rendre jusque-là. Maslow lui-même avançait à pas prudents sur les observations des catégories les plus élevées, par manque de données. Par ailleurs, il est cocasse de noter que si ces observations sont nombreuses et détaillées dans les étages du bas, elles se résument à quelques paragraphes aux étages plus élevés.
Cinq paliers à couvrir dans votre organisation
La pyramide de Maslow demeure un outil concret et fort utile quand vient le temps d'évaluer ou d'améliorer les conditions de vie de vos employées et employés. Elle est aussi très efficace dans l'établissement des besoins d'usagers ou de clients. Voyons voir...
- Besoins physiologiques : il s'agit de donner un accès à des infrastructures permettant de répondre aux besoins primaires et assurer un salaire adéquat permettant de se nourrir et se loger.
- Sécurité : il s'agit de créer un espace de travail sécurisant, prévisible à chacune et chacun. Par exemple, offrir des espaces de travail ergonomiques et sécurisés, tenir le personnel informé des événements risquant d’affecter leur emploi, mettre en œuvre des politiques pour lutter contre les discriminations et le harcèlement, etc.
- Appartenance et amour : il s'agit de reconnaître que l'humain est un animal social. Chaque individu veut se sentir important pour les autres. Activités de socialisation, activités ludiques ou sportives, tous les moyens sont bons pour se rassembler.
- Estime : il s'agit de reconnaître chaque individu au quotidien. Lui donner une rétroaction honnête, le féliciter pour les bons coups ou l'accompagner dans les mauvais. Il convient de démontrer votre reconnaissance, d'appuyer vos équipes dans la définition et l’atteinte d’objectifs... et de partager les résultats.
- Auto-réalisation : il s'agit de donner tous les outils pour que chacun puisse se réaliser dans son travail. Il faut alors encourager le développement des compétences, être ouvert aux idées de l'employé qui veut s'améliorer, se réinventer, bref, évoluer.
Les deux étages oubliés
La professeure de mathématique et psychothérapeute britannique Hazel Skelsey publie un article en 2014 dans le prestigieux British Psychological Society. Elle y révèle des trésors cachés dans la théorie de Maslow, oubliés avec le temps.
Dans ses travaux, Maslow aborde deux autres catégories de besoin. D'abord le désir d’apprendre et de comprendre, qui se caractérise par un besoin de liberté d’enquête et d’expression. Un peu plus tard, il ajoutera le désir esthétique, par la recherche de beauté, de créativité, d’harmonie, etc. Il est remarquable que dès le milieu du XXe Maslow ait identifié ces besoins dans le milieu du travail. Ce qui l'est davantage, c'est que ces deux étages fondamentaux sont encore ignorés aujourd'hui dans la pyramide de Maslow que nous connaissons tous. Ces deux étages sont d'utilité publique! Ils vont vous permettre de justifier l'importance de l'apprentissage, ou de la qualité du cadre de travail pour des usagers... qu'ils soient des employés ou des clients.
Les valeurs B
C'est quelques mois avant sa mort que Maslow va publier la dernière mise à jour de ses travaux. Et on peut la présenter comme ceci. Que peut bien motiver les gens qui sont parvenus tout en haut de la pyramide de Maslow? La réponse de Maslow est l'aboutissement de trente ans de recherche : celles et ceux qui sont dans la recherche d'une meilleure version d'eux-mêmes sont motivés par des valeurs universelles et humanistes. Vérité, bonté, beauté, perfection, excellence, simplicité, élégance, etc. Des valeurs B — pour "being", des motivations qui transcendent les intérêts personnels de l’individu, voilà ce qui attend ceux qui sont au sommet de la pyramide!
Des alternatives pour penser la motivation
Plusieurs ont pointé du doigt la théorie de Maslow, pour sa simplicité et son inadéquation avec la réalité. On peut penser que ces observateurs n'avaient pas connaissance des derniers travaux de Maslow. Ces derniers ont déployé beaucoup d'efforts pour combler des manques que l'auteur avait lui-même comblés, avec pas mal plus de rigueur et de subtilité. Nous avons cependant dénichés trois approches dignes d'intérêt, qui ont confirmé et, surtout, mis à jour la théorie des motivations de Maslow.
- Trois sources de motivation: carrière, communauté, cause. Selon une enquête menée par Facebook sur la motivation au travail, il existerait trois grands facteurs de motivation: la carrière, la communauté et la cause. Facebook explique que ces trois facteurs agissent à titre de contrat entre l’organisation et les employés, et que lorsque ce contrat n’est pas rempli, la motivation au travail diminue. De plus, il n’y aurait pas de différences significatives entre les groupes d’âge, les professions et les lieux de travail. Bref, nous voulons tous la même chose: un travail, des gens et un but. ²
- Trois besoins psychologiques: autonomie, relations, compétences. Résultant des études du Dr Deci et d'autres chercheurs et chercheuses du domaine de la motivation, il existerait trois besoins psychologiques universels non hiérarchisés: l’autonomie, les relations et les compétences. Les organisations devraient donc se poser la question suivante : de quelles manières peuvent-elles encourager, favoriser et améliorer la satisfaction du personnel en matière d’autonomie, de relations et de compétences? Plutôt que de chercher à comprendre : comment motiver ses gens? ³
- Une pyramide alternative. Stum (2001) s’est inspiré de la théorie de la motivation de Maslow afin de créer une nouvelle pyramide adaptée aux besoins en contexte de travail. Selon ce chercheur, cette pyramide permettrait d’augmenter la productivité, la fierté et la rétention du personnel. Les besoins professionnels qu’il a identifiés seraient, partant du bas vers le haut: sécurité, reconnaissance, appartenance, développement et conciliation travail-vie personnelle. ⁴
Ce qu'il faut retenir
La pyramide des besoins de Maslow n'a jamais existé. Maslow a étudié la hiérarchie des motivations des humains, essentiellement en entreprise en 1943. C'est un consultant qui lui a donné la forme de pyramide dans les années 60. Le succès de cette théorie lui a été dommageable, car cette dernière a circulé de manière incomplète et simpliste. De plus, Maslow a continué ses observations et il a enrichi ses conclusions pendant plus de 30 ans. Le travail final est beaucoup plus inspirant : au-delà des besoins physiologiques, de sécurité, d'amour, d'estime et d'accomplissement de soi, nous sommes mus par l'envie d'apprendre et de comprendre. Nous sommes aussi motivés par la recherche perpétuelle de beauté et d'esthétique. Ce sont des outils très importants pour assurer un cadre de travail motivant à des employés... ou nourrir des besoins précis pour des clients. Enfin, les plus développés d'entre nous, celles et ceux qui visent à réaliser la meilleure version d'eux-mêmes, sont motivés par des valeurs qui dépassent l'égo, les valeurs B. Ces valeurs sont universelles et humanistes, elles visent le bien commun.
Gaëtan est le fondateur de Perrier Jablonski. Créatif, codeur et stratège, il est aussi enseignant à HEC (marque-média), à l'École des Dirigeants et à l'École des Dirigeants des Premières Nations (pitch, argumentation). Certifié par le MIT en Design Thinking et en intelligence artificielle, il étudie l'histoire des sciences, la philosophie, la rhétorique et les processus créatifs. Il est l’auteur de deux essais et d’une centaine d’articles sur tous ces sujets.
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Bibliographie et références de l'article
¹ Indeed. (2019). Applying Maslow's Hierarchy of Needs in the Workplace. https://www.indeed.com/career-advice/career-development/maslows-hierarchy-of-needs
² Goler, L. et al. (2018). The 3 Things Employees Really Want: Career, Community, Cause. HBR. Repéré à https://hbr.org/2018/02/people-want-3-things-from-work-but-most-companies-are-built-around-only-one
³ Fowler, S. (2014). What Maslow’s Hierarchy Won’t Tell You About Motivation. HBR. Repéré à https://hbr.org/2014/11/what-maslows-hierarchy-wont-tell-you-about-motivation
⁴ Savard, S. (2019). La perception des cadres, face à la reconnaissance adaptée aux générations, au sein d’une gestion stratégique d’entreprise. [mémoire de maîtrise, Université du Québec en Outaouais]. Repéré à http://di.uqo.ca/id/eprint/1086/1/Savard_Stéphanie_2019_mémoire.pdf
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