Architecture de marques, le grand ménage.

Architecture de marques, le grand ménage.

Gaëtan Namouric
Depuis les années 90, les marques se sont multipliées, dédoublées, mariées, mélangées et ont parfois fini hébergées par des groupes puissants. Il fallait pouvoir créer une logique entre toutes ces marques. Alors nous avons inventé les architectures de marques. Enfin... on dit "nous", mais ce n’est pas nous, hein!
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La gamme de packaging LU, par Dragon Rouge

Le concept d'architecture de marques est une évolution lente et collective du concept de marque. S'il n'a pas d'inventeur identifié, on lui reconnait un parrain, David A.Aaker, qui a abordé le sujet dans plusieurs ouvrages, notamment "Managing Brand Equity" (1991) et "Building Strong Brands" (1996). Professeur émérite de marketing à l'Université de Berkeley (Californie), David A.Aaker est unanimement considéré comme l'un des pères du branding moderne.

Les années 1990 ont été marquées par l'agrégation massive de marques dans des conglomérats plus ou moins cohérents. Le marketing a dû s'adapter à cette nouvelle réalité et proposer un modèle pour "ranger ses affaires". Les dernières décennies nous ont permis d'apprécier les avantages et les inconvénients de telle ou telle stratégie. En voici les grandes lignes.

Mais pourquoi?!

Le principe de base est d'organiser le rapport entre la marque principale — qu'on appelle la marque-mère — et les marques détenues par cette dernière — qu'on appelle les marques-filles — on parle parfois de "sous-marques", mais nous, on trouve ça pas super sympa. Vous allez voir que cette analogie mère-fille va nous permettre des métaphores bien utiles...

L'architecture de marque est donc le système qui administre ces relations, afin de faciliter le décodage par les consommateurs, d'améliorer leur perception et au final, d’optimiser l'ensemble des marques de l'entreprise ou du groupe.

Il existe de nombreux articles sur le sujet. Mais je dois avouer deux choses. D'abord, j'ai toujours trouvé le vocabulaire original un peu boiteux. House of brands, Branded house, etc. Pas très clair. Les traductions françaises n'ont rien arrangé, et les exemples donnés sont souvent très discutables, pour un lecteur curieux. Pourquoi avoir mis telle marque dans tel type d'architecture? C'est souvent un peu arbitraire, et un peu simpliste. L'ambition de ce texte est de tenter une clarification et un ménage. D'autre part, chez Perrier Jablonski l'expérience nous a montré qu'il demeure des subtilités et des conseils d'application qui valent d'être partagés. Alors c'est parti!

Une architecture de marques n'est pas une décision de design, mais une décision stratégique.
Gaëtan Namouric

La marque ombrelle (architecture branded house)

Dans cette configuration, vous avez une seule marque pour couvrir l'ensemble de votre portefeuille de produits. Cette marque devient la mère des sous-marques (ou marques-filles), elle joue le rôle de parapluie — ou d'ombrelle — pour tout le portefeuille, qui devient un monolithe (un seul bloc) solide. Voilà pour la définition. C'est une architecture souvent utilisée, car elle permet des économies de marketing et de communication importantes. La marque-mère devient alors une marque-repère, un sceau de qualité qui assure la qualité de la marque-fille.

Voici d'autres exemples :

  • Les biscuits Lu, protégés par une marque familiale (et bretonne) historique.
  • Google, avec des produits comme Google Maps, Google Drive et Google Docs.
  • Amazon : Amazon utilise sa marque pour couvrir divers services, tels que Amazon Prime, Amazon Web Services (AWS) et Amazon Echo
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Les avantages
  • Économies d'échelle en ce qui concerne le marketing et de communication.
  • Simplification du choix pour le consommateur (marque-repère).
  • Opportunité de diversifier les produits dans un même marché (LU = les biscuits).
  • Renforcement de la notoriété de la marque principale.
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Les inconvénients
  • Risque de dilution de la marque si elle est associée à des produits ou services de qualité inférieure.
  • Énorme risque de contagion en cas "d'accident" de l'une des marques (défaillance technique, scandale sanitaire, etc.)
  • Difficulté à cibler des segments de marché spécifiques.
  • Potentiel de canalisation entre les différents produits et services de la marque.

Bref, si elle paraît évidente, l'architecture monolithique n'est pas sans danger. Elle vaut la peine quand votre réputation est solide et quand l'ambition de votre entreprise appelle à l'ajout de marques-filles pour compléter le portfolio. Le cas de Lu est idéal : une marque de biscuits a tout intérêt à multiplier les SKU — les références — pour créer un effet permanent de nouveauté. Les produits qui "passent le test du lancement" sont conservés dans le portfolio, les autres sont abandonnés. Au fil du temps et des succès, la gamme s'étoffe et offre différents produits à différentes cibles, avec différentes promesses (le fun, la nostalgie, l'indulgence, etc.)

Dans ce cas, l'apport d'une nouvelle marque dans le portefeuille doit être vu autant comme une opportunité que comme un risque. Cet ajout dans la famille doit créer un ensemble plus fort, sans ralentir sa croissance ou ternir sa réputation. Dans le cas d'un regroupement d'entreprises, il est impératif de définir l'allégeance qui va s'opérer entre la fille et la mère. Le plus souvent, la fille "disparaît" pour laisser toute la place à la mère — cette mécanique est nécessaire pour la clarté de l'ensemble. Pensez à Totem, l'entreprise québécoise de réalité virtuelle vendue à Apple pour 40 millions de dollars. Elle a été à la base du casque Apple Vision Pro... Si la technologie est restée, la marque, elle, a disparu.

Lu, la marque ombrelle par excellence.

La marque-caution (architecture par endossement)

Dans cette architecture, le rapport mère-fille demeure, mais la fille prend plus de place. La mère demeure présente, mais en retrait. Cette présence maternelle rassure le consommateur, en "validant" la fille. On parle d'endossement, car si la fille est libre... elle a quand même sa mère sur le dos 😅. Ce support peut prendre différentes formes : nom de la mère accolé à celui de la fille, partage des couleurs ou typographie identique, etc. Notez la proximité avec l'architecture précédente. Vous pourriez objecter que Lu endosse ses marques Petits Coeurs, Petit écolier, Pépito, PiM's, etc. Sauf que LU est prédominant, alors que dans le cas de l'endossement, la marque-mère est plus discrète, plus subtile ou plus diluée dans une marque-fille plus assurée.

  • Nestlé endosse les marques en partageant un morceau de sa marque : Nescafé, Nespresso, Nesquik, Nestea, Nesfruta, Neslac, Nespray, Nestum, ou encore Nesfit.
  • General Electric (GE) : GE est la marque-mère qui soutient plusieurs divisions et marques, telles que GE Aviation, GE Healthcare, GE Power et GE Renewable Energy.
  • Hilton Hotels & Resorts : Hilton est la marque qui endosse un portefeuille d'hôtels et de complexes hôteliers, tels que DoubleTree by Hilton, Embassy Suites by Hilton et Hampton by Hilton. Avec le "by", on sent clairement le rapport d'attachement familial.
Nestlé, ou l'art d'endosser des marques bien différentes
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Les avantages
  • Transfert des principes de la marque-mère aux marques-fille évident.
  • Création d'un portefeuille de marques diversifié, plus résistant aux crises.
  • Opportunité de diversifier les produits dans des marchés différents (Pour Nestlé : café premium, barres énergétiques, lait maternisé, café économique...) avec des valeurs communes.
  • Meilleur contrôle de la réputation de la marque-mère en cas d'échec d'une marque-fille.
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Les inconvénients
  • Potentiel de dilution de la marque-mère si le portefeuille est trop étendu.
  • Confusion possible si les marques-filles sont trop proches les unes des autres.
  • Incompréhension possible si les marques-filles sont trop éloignées les unes des autres.
  • Confusion des identités si les marques-filles sont trop disparates sur le plan de l'identité graphique.

Bref, c'est un choix évident, qui ressemble à un "meilleur des mondes", mais qui peut rapidement devenir une pizza toute-garnie disgracieuse. Il faut donc respecter quelques règles. D'abord, il faut veiller à la cohérence de la famille. "Endosser" signifie qu'on va partager un peu de son identité de mère, mais qu'on est aussi responsable des défaillances possibles de la fille. En clair, c'est une adoption. Il faut donc s'assurer que cet endossement ait un sens pour la marque-mère, et qu'il donne des ailes à la marque-fille. Il est important de s'entendre sur des principes de marques communs, non négociables. Aussi, il est important de bâtir une structure graphique facile à comprendre, et que toutes les marques mises les unes à côté des autres forment un ensemble harmonieux, élégant et encore une fois, cohérent.

Microsoft Office, un air de famille savamment orchestré par Naomi Jumping Eagle

Les marques autonomes (architecture diversifiée, ou house of brands)

Ici, la mère et la fille ne se parlent plus. C'est l'indépendance totale pour les marques-filles qui n'ont plus aucun lien de parenté ni avec la marque-mère ni entre elles. Chacune vit sa vie, chacune son identité, son chemin, son destin. Il se peut qu'un lien ténu demeure, mais il est le plus souvent invisible.

  • L'Oréal : L'Oréal gère un portefeuille de marques de cosmétiques indépendantes, telles que Maybelline, Lancôme, Kiehl's et Garnier.
  • Estée Lauder Companies : Cette entreprise possède plusieurs marques de cosmétiques et de soins de la peau indépendantes, telles que Clinique, M.A.C, La Mer, Jo Malone London et Bobbi Brown.
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Les avantages
  • Un lancement de marque-fille peut échouer sans conséquence sur la marque-mère.
  • Les marques n'ont pas à partager les mêmes marchés ou les mêmes valeurs.
  • Le groupe peut ainsi constituer un portefeuille de produits/services très différents. Plus ce portefeuille est diversifié, plus le risque de turbulences économiques est faible, puisqu'on mise sur plusieurs secteurs d'activités différents.
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Les inconvénients
  • Les coûts de marketing, de communication, de service clientèle, etc. sont multipliés par le nombre de marques.

C'est un grand classique pour les conglomérats (Unilever, Procter & Gamble, etc.) qui forment des empires avec des marques très différentes les unes des autres, sans partager de vision commune. Il faut noter que c'est une option à considérer quand votre entreprise lance un produit tout nouveau, éloigné de la mission de la marque-mère. C'est aussi une bonne option quand une entreprise bien ancrée dans le marché veut aller chercher une niche de clientèle spécifique nouvelle. Pensez à Fizz, la marque "geek et simplifiée" de Vidéotron, ou encore à Polestar, la marque électrique de Volvo...  séparée de Volvo.

L'architecture mixte, ou hybride

Certaines entreprises adoptent une combinaison des approches mentionnées ci-dessus pour répondre à des besoins spécifiques ou pour gérer des portefeuilles de marques plus complexes.

  • Volkswagen Group : le groupe Volkswagen possède un portefeuille mixte de marques automobiles, avec des marques individuelles telles que Volkswagen, Audi, Škoda et Porsche, ainsi que des marques endossées telles que Volkswagen Commercial Vehicles.
  • General Motors (GM) : GM possède un portefeuille mixte de marques automobiles, avec des marques individuelles telles que Chevrolet, Buick, GMC et Cadillac, ainsi que des marques endossées telles que GM Fleet.
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Les avantages
  • Permet une plus grande latitude dans la gestion des marques
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Les inconvénients
  • Attention aux confusions!

Cette option est parfois choisie pour justifier le statu quo d'une architecture désorganisée ou chaotique. C'est une erreur.  Cette option doit être stratégique, claire et réfléchie. Elle est réservée à de grandes entreprises qui ont tellement de produits à offrir qu'il devient difficile de frayer son chemin à travers la gamme. En voici un exemple... surprenant.

Vers une cinquième voie?

On cite souvent Apple comme exemple d'une marque monolithique, à la FedEx. Or le développement d'une vaste variété de nouveaux produits, ainsi que la persévérance de plus vieux produits dans la gamme ont mené Apple à devenir une marque très complexe, et choisir le mode hybride présenté ci-dessus.

iMac G3. Le premier "i" de l'histoire d'Apple © Apple inc.

En 1998, le retour de Steeve Jobs chez Apple signe l'arrivée de l'iMac G3, l'ordinateur coloré et transparent qui va bouleverser la nomenclature des marques d'Apple, et donner naissance aux iProduits : iMac, iPod, iTunes, iPhone, iPad, iMovie, iMusic, iLife (l'ancêtre de iCloud), iOS, iSight, etc. Il faudra attendre 2007 pour qu'un nouveau produit sème la discorde : TV, suivi plus tard par Watch (2014) et de TV+. À travers les années, la marque a commencé à se structurer, en rangeant ses marques par produit : Mac, iPhone, iPod, etc. Mais au fil du temps, les gammes ne cessent de s'étendre et forcent la marque à structurer davantage, quitte à laisser certaines traces du passé perturber l'ordre établi. Aujourd'hui nous avons...

  • Apple Inc. est la marque-mère
  • Apple (Apple Watch, Apple TV, Apple Vision Pro, Apple Store, etc.),
  • Mac (iMac, Mac mini, Mac Studio, Mac Pro, MacBook, MacBook Air, Macbook Pro, etc.),
  • iPhone (iPhone, iPhone SE, iPhone Pro),
  • iPad (iPad mini, iPad Air, iPad, iPad Pro),
  • Mac OS (avec des variations géographiques : Sonoma, Ventura, Monterey, Big Sur, Catalina, Mojave, High Sierra, Sierra, El Capitan, Yosemite, qui ont donné suite aux versions plus félines, telles que Mountain Lion, Lion, Snow Leopard, Tiger, Panther, Jaguar, Puma, et Cheetah)
  • Air (AirPods, AirTag, AirDrop),
  • Home (HomePod, HomeApp, HomeKit), etc.

Certaines de ces marques-filles deviennent mère à leur tour. Ainsi on voit naître par exemple l'Apple Watch SE, Ultra, Series 8, Nike ou Hermès. Comme vous le voyez, il n'est pas simple, inné ou évident de bâtir un empire de marques bien triées, rangées, et cohérentes. Même la plus grande marque au monde a mis plusieurs années à se construire une architecture de marque. Comme elles, vous devrez gérer certains héritages, certains irritants, certaines contraintes — parfois stratégiques, parfois historiques, parfois légales...

Plus intéressant encore, la marque semble fonctionner aujourd'hui avec des "bouts de marques", comme des morceaux de robot à assembler. Ainsi, vous avez à votre disposition les pièces suivantes : Air, Home, i, Mac, Pro, SE, auxquelles on peut ajouter le tout récent "Vision". Ainsi, elle semble inventer une nouvelle forme d'architecture basée sur des caractéristiques. Air = léger, Home = domestique, Pro = professionnel, SE = économique. Comme si les marques-filles se choisissaient des traits de leur mère. On pourrait alors baptiser l'architecture de marque "par traits" : chaque marque-fille a hérité d'un trait de personnalité de la marque-mère.

Ce qu'il faut retenir

Vous trouverez souvent trois modèles d'architecture de marque : Branded House, House of Brands ou encore Hybrid en anglais. C'est bien... mais c'est bien peu. Nous avons fait un peu de ménage dans le vocabulaire, et dans les exemples. On identifie les marques monolithiques (toutes le même nom), les marques ombrelles (un nom ou une identité de marque-mère partagée avec des marques-filles), les marques-caution (la marque-mère en arrière de la marque-fille) et les marques individuelles (aucune relation entre la marque-mère et la marque-fille)... Mais nous avons aussi inventé les marques "par traits", où les marques-filles "empilent" les traits de la marque-mère, dans un organigramme... très organique.

Gaëtan est le fondateur de Perrier Jablonski. Créatif, codeur et stratège, il est aussi enseignant à HEC (marque-média), à l'École des Dirigeants de HEC et à l'École des Dirigeants de Premières Nations (pitch, argumentation). Certifié par le MIT en Design Thinking et en intelligence artificielle, il étudie l'histoire des sciences, la philosophie, la rhétorique et les processus créatifs. Il est l’auteur d'un livre et d’une centaine d’articles sur tous ces sujets.
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Bibliographie et références de l'article
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