Cette question du bonheur est récente. Les racines mêmes du mot “travail” — du latin tripalium, un instrument de torture — nous rappellent que travail et bonheur n’ont pas toujours fait bon ménage. Alors que le XVIIIe siècle fera du travail un moyen d’émancipation, la révolution industrielle va consacrer une nouvelle aristocratie, celle des entrepreneurs qui réussissent par le travail, rompant avec la tradition d’une élite oisive. Les années d’après-guerre vont organiser le travail et le rendre moins pénible. Les années 80 vont célébrer l’épanouissement par le succès. Travailler. Travailler toujours plus.
Une nouvelle vague d'attentes?
Trente ans plus tard, de nouvelles générations arrivent sur le marché du travail. Un marché dont elles contestent les valeurs. Vision, valeurs communes, qualité de vie, elles cherchent plus qu’un salaire.
Des réponses absurdes.
Face à cette révolution, tous les départements de ressources humaines se sont questionnés sur leur méthode de recrutement et de rétention. Et depuis quelques années, un vent venu de la Californie est venu souffler sur la culture de nos entreprises, imposant le « bonheur au travail » comme nouvel idéal. Des classiques baby-foot et chefs étoilés à la cafétéria, la Silicon Valley est rapidement passée aux toboggans géants, aux horaires libres en passant par l’holacratie, où la hiérarchie n’existe plus. Chief Happiness Officier, Jolly Good Fellow, ou encore Mister Happiness, l’imagination (et le ridicule) n’a pas de limites quand on doit faire valoir l’intérêt primordial du bonheur des employés dans son entreprise.
Et puis, soudain...
Pendant tout ce temps, la pyramide de Maslow n'a pas changé... Les organisations se sont focalisées sur le "haut de la pyramide", en organisant toutes leur management sur l'élévation, en motivant l'appartenance, l'estime de soi, l'accomplissement. Ce faisant, elles ont délaissé parfois les besoins de sécurité. C'était vrai avant la pandémie pour certains employés. C'est vrai aujourd'hui pour la totalité de vos employés. L'inquiétude collective nous force à une bienveillance nouvelle, tournée vers des besoins primaires. Vos employés ont besoin de sécurité. Et de rien d'autre.

Vous n'avez jamais été responsable du bonheur d’un employé.
Le bonheur au travail est un argument marketing plus qu’une véritable mission managériale. Trop souvent, les entreprises misent tout sur des arguments de façade (locaux attrayants, horaires flexibles, culture du party), alors que le bonheur... c’est plus que ça.
Le bonheur est un argument marketing, alors que les employés attendent de l'encadrement.
Gaëtan Namouric
Offrir un bon salaire, de bonnes conditions de travail, un bon équilibre avec la vie de famille... soit... Mais le bonheur ? Vraiment ? Que pouvez-vous vraiment pour un employé malheureux ? La philosophe Julia de Funès et l’économiste Nicolas Bouzouki ont étudié le mythe de bonheur au travail dans un ouvrage sans concessions : La comédie (in)humaine, « Le bonheur ou la joie comme conséquence d’un travail réussi, oui ; le bonheur ou la joie comme condition de performance, non. »
Vous êtes juste un humain, et c'est déjà bien.
En temps de crise, c’est évidemment le besoin de sécurité qui prime. On le voit dans les réactions des gens au quotidien : la priorité est de faire des stocks alimentaires (et de papier toilette). C’est une réaction qui tend plus vers l’individualisme.
Mais, regardez bien autour de vous. Il y a aussi beaucoup de soutien, et dans cette crise qui prône l’isolement, on le remarque tous les jours sur les réseaux sociaux.
Le problème, c'est que le bonheur est devenu une condition de performance.
Julia de Funès et Nicolas Bouzouki
Les professionnels s’entraident et mettent leurs services à disposition des équipes médicales qui sont au front. D’autres personnes se sont mises à cuisiner pour les aides-soignants ou les personnes âgées. L’altruisme et la solidarité sont la réponse des gens. C’est la seule chose que nous contrôlons : revenir à la relation. À l’individu. À ce qui fait que nous ne sommes pas seuls. Et cette règle ne fait pas exception aux entreprises.
Concrètement, comment faire ?
Voici quelques pistes de solutions amenées par une psychologue du travail, Océane Marchand :
- Individualiser l’explication de la situation : Prenez le temps d’expliquer individuellement ce qu’il se passe, les problèmes rencontrés et les solutions envisagées.
- Être le plus transparent possible : Dites réellement ce qu’il se passe, même si ce ne sont pas de bonnes nouvelles. Chacun a besoin de se faire un plan d’action basé sur la réalité.
- Gérer le flux de communication : Évitez les courriels groupés qui fusent, mais centralisez plutôt les questions, les remarques et les suggestions, pour ensuite en faire part à tout le monde dans une seule et même communication. Cela évitera un sentiment inutile de panique et de perte de contrôle.
- Être le plus clair possible : Ne tournez pas autour du pot. Allez droit au but. Ce sera beaucoup plus clair pour tout le monde et cela évitera les suppositions.
- Inclure les équipes dans l’organisation du travail : Co-construisez ensemble la nouvelle organisation du travail ou le plan de match. Faire participer ses équipes est primordial pour que tout le monde se sente concerné et considéré.
- Donner les informations au fur et à mesure : Relayez l’information quand vous l’avez. Et même si vous ne l’avez pas, communiquez sur le fait que c’est en cours. En temps de crise, pas de nouvelles = mauvaises nouvelles.
- Garder le lien : Préservez les relations pour le futur. Montrez que vous êtes là et que la relation existe toujours.